Tribut envoyé par les animaux à Alexandre

bassadeur nouveau.
La Caravane enfin rencontre en un passage
Monseigneur le Lion. Cela ne leur plut point.
Nous nous rencontrons tout à point,
Dit-il, et nous voici compagnons de voyage.
J'allais offrir mon fait à part ;
Mais bien qu'il soit léger, tout fardeau m'embarrasse.
Obligez-moi de me faire la grâce
Que d'en porter chacun un quart.
Ce ne vous sera pas une charge trop grande,
Et j'en serai plus libre, et bien plus en état,
En cas que les Voleurs attaquent notre bande,
Et que l'on en vienne au combat.
Econduire un Lion rarement se pratique.
Le voilà donc admis, soulagé, bien reçu,
Et, malgré le Héros de Jupiter issu,
Faisant chère et vivant sur la bourse publique.
Ils arrivèrent dans un pré
Tout bordé de ruisseaux, de fleurs tout diapré,
Où maint Mouton cherchait sa vie :
Séjour du frais, véritable partie
Des Zéphirs. Le Lion n'y fut pas, qu'à ces gens
Il se plaignit d'être malade.
Continuez votre Ambassade,
Dit-il ; je sens un feu qui me brûle au dedans,
Et veux chercher ici quelque herbe salutaire.
Pour vous, ne perdez point de temps :
Rendez-moi mon argent, j'en puis avoir affaire.
On déballe ; et d'abord le Lion s'écria,
D'un ton qui témoignait sa joie :
Que de filles, ô Dieux, mes pièces de monnoie
Ont produites ! Voyez ; la plupart sont déjà
Aussi grandes que leurs mères.
Le croît m'en appartient. Il prit tout là-dessus ;
Ou bien s'il ne prit tout, il n'en demeura guères.
Le Singe et les sommiers confus,
Sans oser répliquer, en chemin se remirent.
Au fils de Jupiter on dit qu'ils se plaignirent,
Et n'en eurent point de raison.
Qu'eût-il fait ? C'eût été Lion contre Lion ;
Et le proverbe dit : Corsaires à Corsaires,
L'un l'autre s'attaquant, ne font pas leurs affaires.

Les fables de la Fontaine